
Libération 3 juin 2010:
La porte sud de l’usine Foxconn est gardée comme une caserne. Portail électronique, fouille obligatoire. Les sentinelles manifestent une allergie particulière à l’endroit des journalistes qui viennent enquêter sur les onze suicides survenus depuis le début de l’année au sein de cet atelier du monde, de taille démesurée. Plus de 300 000 ouvriers y fabriquent à la chaîne l’iPhone d’Apple (1), les téléphones portables Nokia, les consoles de jeu de Sony et les ordinateurs de Dell et Hewlett-Packard.
«Il ne faut pas craindre d’être un dictateur quand c’est pour le bien de tous», lit-on dans un manuel destiné aux contremaîtres. Sur les murs de l’entreprise, on lit: «Le démon est dans le détail», une devise censée inciter à la minutie les ouvriers qui travaillent à la chaîne, où le même geste est répété en moyenne toutes les sept secondes. La plupart des employés qui ont mis fin à leurs jours à l’usine Foxconn de Shenzhen, située à la frontière de Hongkong, ont plongé du haut des dortoirs modernes où ils vivent entassés à dix par chambrée. Quatre filles et six garçons, âgés de 19 à 24 ans. Même les ingénieurs ne sont pas à l’abri. L’un d’eux, Yan Li, est «mort de surmenage», le 26 mai, après avoir travaillé vingt-quatre heures d’affilée, vient d’annoncer sa famille, qui réclame 250 000 yuans (30 000 euros) de dommages à Foxconn. Jeudi dernier, le lendemain du décès de l’ingénieur, un employé s’est taillé les veines, mais a pu être sauvé à temps.
Hier, la situation était jugée suffisamment sérieuse pour que Steve Jobs, le gourou d’Apple, déclare que son groupe «s’attelle au problème», tout en qualifiant l’usine de Foxconn de «chouette».
Quand les commandes affluent, Foxconn embauche jusqu’à 3 000 ouvriers par jour. Presque autant quittent l’entreprise, souvent par épuisement. En moyenne, 10% de la main-d’œuvre est renouvelée tous les mois. Pour être embauché, il faut avoir 18 ans, parfois seulement 16, et être en bonne santé. «Si on ne travaille que les huit heures quotidiennes requises, on ne touche que 900 yuans [108 euros] mensuels, et ce n’est pas assez, explique Yao. C’est pourquoi presque tout le monde fait des heures supplémentaires. Mais la fatigue venant, gare à l’erreur, car les contremaîtres peuvent vous insulter et même vous maltraiter »
Agence France-Presse (Pékin) 01 septembre 2011
Une travailleuse de l’usine de Foxconn à Shenzen, en Chine, où plusieurs produits Apple sont assemblés, inspecte une carte mère. – Photo: Archives AFP
Des entreprises chinoises fournissant le groupe informatique américain Apple polluent gravement et durablement l’environnement, mettant en péril la santé des habitants autour des usines, dénoncent des ONG après avoir enquêté cinq mois sur le terrain. Le rapport de 46 pages de ces organisations de défense de l’environnement, rendu public mercredi, est intitulé «Bad Apple» (mauvaise pomme). Il accuse, exemples à l’appui, le géant américain de savoir que la fabrication de ses iPad, iPhone et autres produits emblématiques génère un «énorme volume» de déchets toxiques, mais de ne pas agir en conséquence et de se désintéresser de la question.
«Grâce à cinq mois de recherches et d’investigations sur le terrain, nous avons découvert que les rejets polluants de cette société valant 300 milliards de dollars ont augmenté et se sont répandus dans sa chaîne d’approvisionnement», a souligné le rapport.
Plus de 27 «fournisseurs présumés» d’Apple sont responsables d’atteintes plus ou moins graves aux écosystèmes, en profitant des contrôles lacunaires en Chine, devenue l’atelier informatique du monde en raison de sa main-d’oeuvre très bon marché, a accusé le rapport.Interrogé par l’AFP, Apple a admis ne pas rendre public les noms de ses fournisseurs en Chine, sans en expliquer la raison.Le rapport cite par exemple le cas de la société Meiko Electronics, installée à Wuhan (centre), suspectée de fournir Apple en circuits imprimés.
Le lac Nantaizi situé près de l’usine Meiko est «sérieusement contaminé» par des métaux lourds, selon le rapport: l’analyse d’échantillons d’eau prélevés sur place a par exemple mis en évidence un taux de cuivre de 56 à 193 fois plus élevé que dans les autres lacs du bassin du Yangtsé.
Un porte-parole d’Apple, Carolyn Wu, a assuré que la société allait se pencher sur les accusations des ONG.
«Nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils offrent des conditions de travail sûres, qu’ils traitent les employés avec dignité et respect et qu’ils suivent des processus de fabrication respectueux de l’environnement», a-t-elle indiqué à l’AFP.
Dans un autre rapport publié en janvier, Apple avait été déjà critiqué pour des défaillances chez ses fournisseurs: le groupe américain était arrivé en dernière place, sur 29 multinationales du secteur technologique, d’une enquête ciblant les risques sanitaires au travail et les problèmes de pollution industrielle en Chine.
A l’attention de tous ceux qui ne veulent pas être pris pour des poires.